Bloc-notes Éco

Les acteurs numériques de la finance : entre spécialisation et diversification

Mise en ligne le 20 Février 2023
Auteurs : Laurent Clerc, Timothée Dufour, Pierre Harguindeguy, Stefano Ungaro

Billet n°305. La clientèle des acteurs numériques de la finance est en forte croissance. Ce secteur se caractérise par une grande variété de modèles d’activité. Parmi les acteurs analysés sur la période 2018-2020, les "100% numériques" sont devenus rentables grâce à une dynamique de spécialisation et à leur capacité à développer des partenariats stratégiques, tandis que les acteurs traditionnels ont plutôt cherché à élargir leur clientèle.

Image Nouveaux clients et nombre d'ouvertures de comptes auprès des acteurs numériques de la finance, 2018-2020
Graphique 1 : Nouveaux clients et nombre d'ouvertures de comptes auprès des acteurs numériques de la finance, 2018-2020
Source : ACPR, à partir des données issues des questionnaires qualitatifs soumis à un échantillon de 15 acteurs numériques de la finance fournissant des services bancaires.

Le marché des acteurs numériques de la finance est un marché en plein essor (Graphique 1).  Qui sont leurs clients ? Comment ont évolué leurs modèles économiques et sont-ils devenus rentables ?

Dans une étude récente, Clerc et al. 2022 analysent l'évolution du marché des acteurs numériques dans le secteur financier en France. Cette étude s’appuie sur une enquête réalisée par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) en 2021 auprès d'un échantillon de 15 acteurs et intermédiaires financiers fournissant des services 100 % en ligne ou accessibles via des applications mobiles. 

L'échantillon couvre les principaux acteurs numériques engagés dans l'intermédiation de crédit (collecte de dépôts et octroi de crédits), qu'il s'agisse d'entités " historiques " ou d'entreprises ayant démarré récemment leurs activités en France. Ainsi, les acteurs numériques qui ne remplissent qu'un seul de ces rôles (les FinTechs spécialisées dans le crédit à la consommation, par exemple, qui ne prennent pas de dépôts) ou dont le cœur de métier ne relève pas de ces activités (comme les AssurTechs) ne sont pas inclus dans l'échantillon.

Ce marché en forte croissance (cf. infra) est encore en phase de maturation. Certains acteurs ont disparu parce qu'ils n'ont pas atteint leurs objectifs de croissance de leur clientèle et de rentabilité. Pour ceux qui restent, on peut distinguer :

  1. les opérateurs généralistes, qui offrent une large gamme de produits financiers à une clientèle diversifiée ;
  2. les opérateurs spécialisés, qui se concentrent sur un nombre limité de produits et services visant une clientèle plus restreinte, mais qui se positionnent sur des segments de marché considérés comme plus rentables.

Les acteurs numériques de la finance : une part de marché en forte croissance

Les acteurs numériques du secteur financier inclus dans l’étude ont connu une augmentation significative de leur présence sur le marché en 2020 par rapport aux années précédentes.

Début 2018, environ 8 millions de clients (exclusivement des particuliers et des PME) avaient un compte ouvert auprès de l'une des institutions de notre échantillon. Ce chiffre est passé à 11,5 millions au début de 2019 et a atteint environ 16 millions au début de 2020, soit une augmentation de 100 % en deux ans. En comparaison, le nombre total de comptes de détail des six grands groupes bancaires français « traditionnels » s'élevait à 74 millions début 2020, un chiffre stable par rapport aux années précédentes.

Les acteurs de la finance numérique ont ainsi réussi à renforcer leur part de marché grâce à des offres de produits de plus en plus complètes, favorisant l'autonomie des clients dans les domaines de la banque courante et des produits d'épargne. Concernant l'ouverture de nouveaux comptes dans les établissements inclus dans l’échantillon étudié, 4,7 millions de comptes ont été ouverts au cours de l'année 2020, dont 2,9 millions de comptes courants (Graphique 1). Si on additionne ce chiffre aux 5,5 millions de nouveaux comptes courants ouverts par la clientèle de détail dans les six grands groupes bancaires français la même année, on trouve qu’au total, environ 35 % des nouveaux comptes courants ouverts en 2020 l'ont été chez l'un des acteurs numériques inclus dans notre échantillon.

En quête, incertaine, de rentabilité

Il existe de fortes disparités entre les acteurs numériques en termes d’atteinte du seuil de rentabilité. Sans exception, les opérateurs de l’échantillon d’étude qui ne font pas partie d'un groupe bancaire traditionnel affirment être déjà rentables ou qu’ils le seront d'ici fin 2023 (Graphique 2, barres orange). Les opérateurs mobiles à 100%, en particulier, sont les plus profitables en raison de la faiblesse de leurs coûts d'exploitation et de leur spécialisation sur des segments spécifiques du marché.

Image Nombre d’acteurs rentables et horizon d’atteinte du point mort en fonction de l’appartenance à un groupe bancaire
Graphique 2 : Nombre d’acteurs rentables et horizon d’atteinte du point mort en fonction de l’appartenance à un groupe bancaire
Source : ACPR, à partir des données issues des questionnaires qualitatifs soumis à un échantillon de 15 acteurs numériques de la finance.

À contrario, parmi les opérateurs appartenant à un groupe bancaire traditionnel, seuls deux apparaissent déjà rentables. Pour ces opérateurs, la maîtrise des frais généraux et des coûts d'acquisition apparaît comme une stratégie gagnante à moyen terme. L'un de ces opérateurs a bâti son modèle commercial sur un réseau de distribution mixte, qui combine un accès en ligne et un réseau physique (modèle "phygital"), avec des volumes élevés et des services payants. L'autre, un opérateur historique du marché, se caractérise par une bonne maîtrise des coûts et une base de clientèle particulièrement stable.

D'autres banques en ligne n'ont pas fait de la rentabilité un objectif immédiat, se concentrant principalement sur l'objectif d’attirer de nouveaux clients en offrant des services financiers à un coût raisonnable - voire gratuitement - afin de générer des effets de réseau. Enfin, certains opérateurs n'ont pas réussi à être rentables en raison des faibles taux d'intérêt jusqu’en 2021 ou d’investissements informatiques coûteux.

Vers de nouveaux partenariats stratégiques

L'une des principales évolutions du marché au cours des dernières années a été la diversification de l'offre de produits grâce au développement de partenariats stratégiques. Les filiales des grands groupes bancaires sont en mesure de proposer à leurs clients une large gamme de services bancaires et financiers développés au sein de leur groupe d’appartenance et équivalente à celle offerte en agences. Les nouveaux acteurs numériques (établissements de paiement, etc.) sont quant à eux contraints au moment de leur agrément par leur statut juridique.

Afin de se développer dans cet environnement très concurrentiel, ils ont noué des partenariats stratégiques avec des entreprises détenant des licences complémentaires, leur permettant ainsi d'élargir la gamme de services offerts. Il en résulte un réseau d’interdépendances et de complémentarités qui se créent non seulement au sein des groupes ou entre les partenaires commerciaux, mais également entre concurrents.  Le Graphique 3 montre la structure de ce réseau, reconstituée à partir d'informations publiques.

Image Visualisation du réseau des partenariats des acteurs numériques de la finance
Graphique 3 : Visualisation du réseau des partenariats des acteurs numériques de la finance
Source : Le graphique est construit en utilisant exclusivement données publiques. Nous avons exclu de cette visualisation les partenariats intra-groupe, les partenariats cartes bancaires ainsi que les partenariats avec les "BigTechs".

Le Graphique 3 n'est cependant pas exhaustif : il a été établi à partir d'informations publiées par les acteurs du marché et ne prend pas en compte les partenariats intra-groupes (notamment les liens avec les maisons mères) ni ceux établis avec les réseaux de cartes bancaires et les BigTechs. Concernant ces deux derniers cas, les offres étant concentrées sur quelques acteurs clés (Visa, Mastercard ou American Express) ou sur des systèmes de paiement proposés par des BigTechs (comme Apple-Pay ou Google-Pay), ces services sont intégrés dans la quasi-totalité des offres. Ce graphique montre qu'un intermédiaire numérique (point rouge) peut s'adosser à un établissement de paiement (triangle vert), proposer une assurance-crédit à ses clients (carré bleu) et, dans le même temps, offrir des solutions d'investissement (losange orange), un service de coaching financier (ellipse grise) ou des produits de crédit à la consommation grâce à un partenariat avec un établissement spécialisé (losange jaune). La transformation du paysage bancaire se poursuit donc avec l’émergence d’une tendance nouvelle qui consiste à proposer, sur une même plateforme numérique, une offre diversifiée de produits et de services bancaires et financiers.